L'internat : un espace social et le lieu d'un drame
Le centre de l’action dans Notre-Dame du Nil est un internat scolaire, institution où les élèves bénéficient, en plus d'un enseignement scolaire et de son suivi, d'un hébergement sur place et d'un service de restauration. L'isolement du lieu est renforcé par le fait que les pensionnaires, parfois que des filles, d'autres fois que des garçons ou encore les deux, ne rentrent chez eux que pendant les vacances. Certains internats scolaires sont étroitement reliés à la religion, notamment chrétienne, et intègrent donc son idéologie et ses dogmes au sein de l'internat. C'est d'ailleurs le cas pour l'internat de jeunes filles que fréquentent les protagonistes du film, géré par une Mère Supérieure belge de confession chrétienne.
D'une scolarité régulée à un massacre
Les internats scolaires sont proches par de nombreux aspects des « institutions totales » telles que définies par Erving Goffman dans les années 70 :
"Lieu de résidence et de travail où un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées" (Goffman, 1979 in Guigue, Boulin, 2016)
L'internat est en effet une institution qui exerce une emprise sur les activités quotidiennes en les régulant selon un programme strict (Guigue, Boulin, 2016). Dans le film, il nous est montré que les protagonistes suivent un emploi du temps particulièrement régulier jour après jour et que chaque heure de la journée s'y inscrit au gré de tournus entre des groupes de jeunes filles préposés à différentes tâches : l'heure des repas, des leçons, des tâches ménagères, du divertissement, des messes, etc.
Cette forte régulation du quotidien couplée à l'éloignement du monde extérieur ne semble pas pour autant aller jusqu’à transformer la personnalité sociale des pensionnaires car ces derniers conservent des liens avec l'extérieur (Zaffran, 2013). C’est particulièrement le cas des internats d’élite ou d’excellence, comme l’est Notre-Dame-du Nil fréquenté majoritairement par des filles de bonnes familles destinées à faire carrière ou de bons mariages : "Devenir interne d'excellence ne s'accompagne pas d'une substitution d'un habitus par un autre" (Bedoin, Daverne-Bailly, 2014). Ainsi le drame retracé par le film se retrouve en partie dans ce phénomène : bien que coupées du monde, les jeunes filles restent conscientes de la présence au sein de l'internat des deux groupes définis comme ethnies distinctes. Alors que la société rwandaise commence à écrire l'histoire du tragique génocide et que les jeunes filles reviennent de vacances lors desquelles elles ont retrouvé leurs familles propagatrices d’idéologies clivantes, le conflit entre les groupes se repend également au sein de l'internat, opposant des camarades qui avaient pourtant l'habitude de vivre ensemble.
Vivre ensemble
Vivre en internat scolaire signifie a priori vivre ensemble. Malgré l'existence de rapports dissymétriques comme dans tout groupe social, par exemple entre les plus jeunes et les plus âgés, c’est un espace social de convivialité où la sociabilité passe notamment par des d'objets qui relient les différents élèves du groupe, comme une bouilloire partagée dans un dortoir (Glasman, 2010). Dans le film, la boîte de foie gras, reçue de France par une des pensionnaires et qui rassemble le temps d'une soirée toutes les jeunes filles de la chambre, matérialise ces liens de camaraderie mais aussi les tensions sous-jacentes du groupe, ce type de nourriture de luxe suscitant soit la curiosité, soit le rejet ou le dégoût.
De plus, les internats sont des lieux où les normes sociales dictant une partie de nos actions dans des contextes de collectivité sont particulièrement présentes et exploitées pour assurer une bonne cohésion du groupe. De ce fait, la vie collective au sein de l'internat peut se faire particulièrement intense. L'isolement est presque impossible (Guigue, Boulin, 2016) et d'ailleurs, les jeunes filles de Notre-Dame du Nil sont très rarement isolées les unes des autres lors des plans de scène filmés. Cette collectivité intense et forcée, mélangeant les contextes de vie scolaires, professionnels et privés, peut alors se révéler comme des lieux où "la proximité peut devenir promiscuité" et ainsi voir naître des conflits entre les élèves (Guigue, Boulin, 2016). Ce passage de la proximité à la promiscuité constitue une des trames centrales de Notre-Dame du Nil : plus les jeunes filles passent du temps ensemble, plus leurs relations se dégradent et de petites jalousies se muent en véritable conflit ethnique qui les mènera à la plus extrême des violences.