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Notre-Dame du Nil

Rwanda, 1973. Aux abords de la source du fleuve se dresse un pensionnat catholique de prestige : l’établissement de Notre-Dame du Nil. Accueillant des jeunes filles issues de l’élite rwandaise, l’école fournit une éducation religieuse teintée d’influences européennes. 

Ce bâtiment situé au cœur d’une nature verdoyante devient bientôt le théâtre d’un conflit entre hutus et tutsis. Ainsi, Veronica et Virginia, faisant partie du « quota » tutsi de l’école, voient leurs camarades se dresser progressivement contre elles, tandis que Modesta, moitié hutu et moitié tutsi, se retrouve prise entre deux camps. Gloriosa, fille de ministre, transforme petit à petit le pensionnat en un espace politique patriotique. En marge du conflit, Monsieur de Fontenaille, propriétaire de plantations de sucre, fantasme sur des histoires de pharaons noirs et de tombeaux secrets tout en dévoilant une fascination presque inquiétante pour les jeunes filles tutsies. 

Le génocide n’a pas encore eu lieu, mais on ressent déjà de fortes tensions qui n’iront qu’en s’intensifiant. Un film tiré du livre de Scholastique Mukasonga, mis en image par le cinéaste afghan Atiq Rahimi.


Atiq Rahimi :  un cinéaste qui traverse les frontières pour mettre en scène les conflits contemporains

Atiq Rahimi est un cinéaste et écrivain. Né en 1962 à Kaboul, en Afghanistan, il a demandé en 1984 asile politique en France, pays dont il a ensuite obtenu la nationalité. Pour réaliser le film « Notre Dame du Nil » il s’est basé sur le roman éponyme de Scholastique Mukasunga, une auteure d’origine rwandaise, elle aussi exilée en France, qu’il a rencontré lors de conventions littéraires. L’ouvrage du racisme et de la violence pendant le génocide au Rwanda (E-media, Site Romand de l’éducation aux Médias, 2020).

 Rahimi a particulièrement été choqué par trois événements historiques qui se sont déroulés simultanément en 1994: la guerre civile en Yougoslavie, le conflit en Afghanistan et les atrocités commises lors du génocide au Rwanda (Magazine L’invité, 2019). Originaire d'Afghanistan et témoin d’action caractérisées par une violence crue et extrême, il affirme de ressentir une proximité avec ceux qui ont vécu au Rwanda pendant la période du génocide. Il partage la douleur de vivre dans un pays lentement épuisé par un conflit dévastateur et de sentir la peur constante de ne pas arriver à survivre (Magazine L’invité, 2019). Rahimi souhaitait donc visiter le pays africain ; après avoir lu le livre de Mukasunga, son objectif était de se centrer exclusivement sur le contexte rwandais pour y explorer les thèmes du colonialisme, du racisme, de la religion et y faire ressortir le contraste frappant entre la spiritualité et la violence.

 « Notre Dame du Nil » raconte l'histoire d'un groupe de jeunes Rwandaises scolarisées dans un internat chrétien, qui vivent des événements qui finissent par déboucher sur des actes sanglants. Bien que l'histoire soit basée sur des faits réels, l'objectif du réalisateur n'était pas de reconstituer les événements, mais de montrer les différentes façons dont la haine humaine prend forme et aboutit aux actes les plus atroces.

De manière significative, Rahimi a souhaité faire jouer des actrices rwandaises mais il n'a jamais voulu connaître leur origine ethnique, car cela aurait rappelé l'attitude adoptée par les pays colonisateurs (Magazine L’invité, 2019). Le film montre la progression vers une violence crue et féroce, omettant toute forme de son, faisant du spectateur le témoin de la barbarie humaine. La brutalité se fait d’autant plus sentir qu’elle est construite en antithèse avec un espace naturel présenté comme unique : des collines vertes, des petits villages enchâssés dans le paysage luxuriant et des populations locales qui, dans leur vie quotidienne, en dehors du collège chrétien, maintiennent vivantes leurs traditions et interagissent en utilisant la langue locale. Avec une grande délicatesse, Rahimi présente un conflit certes typiquement rwandais, tout en suggérant les processus politiques et sociaux qui peuvent déboucher sur des atrocités.

Selon Atiq Rahimi, la lumière du Rwanda, ses collines verdoyantes et sa terre rouge, créent une esthétique que le cinéaste n'a nullement eu besoin de reconstruire à travers des jeux de lumière ou de décors fictifs. Une telle reconstruction n'aurait selon lui pas sa place par rapport au sujet si sérieux et dramatique du film: laisser parler la « réalité » du Rwanda à travers ses paysages était pour lui la meilleure des manières de le traiter.

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Laisser parler la « réalité » du Rwanda à travers ses paysages

 

L’innocence, le sacré, le sacrilège, le sacrifice

C’est autour de ces quatres chapitres que se construit le film. L’innocence règne au début du film, dépeinte par ses scènes d’insouciance et de jeu. Le sacré s’invite ensuite, lorsque le sang fait son apparition, symbole de vie ou de mort, de pureté comme d’impureté, il est au coeur de l’intrigue lorsque la fille devient femme, lorsque les idéologies politiques s’installent. Profanations et mensonges se succèdent ensuite tel un sacrilège, entraînant les protagonistes vers une fin presque inévitable : le sacrifice.

Quatre chapitres - allusion au livre qui fut à la base du long métrage - qui accompagnent le spectateur confronté à la montée d’une violence présentée comme fatale. Quatre temps que le film construit comme une succession inexorable faisant penser aux étapes d’un rituel sacré. Le rituel constitue donc tout à la fois la forme et le fond du film, l’action se déroulant quasiment en huis-clos dans un pensionnat. Dans ce cadre précis, la caméra s’échappe rarement, les croyances se confrontent, qu’elles soient politiques, mystico-géographiques ou religieuses. Les rituels catholiques et indigènes se côtoient, la tradition et les légendes se matérialisent sous la forme d’une sorcière imprégnée de magie.

Corps sacrés, corps politisés

Si les corps - notamment le nez - sont au cœur des dissensions ethniques, ils ont aussi la faculté de réunir les jeunes filles lors d’une scène de danse sous la pluie. Le corps de la femme se voit accorder un rôle majeur dans le film, évoluant, lui aussi, de l’innocence au sacrifice, en passant par le sacré et le sacrilège. Dans de nombreuses scènes, le corps combine le sacré et le politique : le sang menstruel, le sang de la maternité se voit attribuer une dimension socio-politique lorsque les tensions ethniques s’avivent ; il devient ainsi vecteur de pureté ou d’impureté. Poussant l’interprétation, on pourrait même voir une métaphore de l’Afrique colonisée lorsque le corps de la femme se retrouve pillé.

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Le corps de la femme se voit accorder un rôle majeur dans le film

La chemise de nuit, uniforme blanc immaculé qui recouvre fréquemment les corps des étudiantes, est à cet égard un objet clé qui, au sens propre du terme, met en lumière toutes les thématiques abordées. Ce vêtement représente la nuit, l’envers du décor, lorsque les masques tombent. Il rend indistinct et instaure une certaine égalité. De plus, le blanc symbolise la pureté, la propreté et la paix mais aussi - plus particulièrement en Afrique et en Asie - la mort et le deuil. Une couleur ambivalente pour un vêtement qui couvre les corps dans les dortoirs, les dévoile quand ils dansent sous la pluie mais qui pourrait bien finir souillé par le sang. Une esthétique ambivalante pour un film, allégorie aux allures de conte, qui n’occulte en rien de la matérialité de la violence mais la tient à distance.

 
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L’internat : un espace social et le lieu d’un drame

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Le rôle de l’Eglise

 

Un film légende, un film de mémoire

L'histoire de Notre-Dame du Nil résonne comme un message d'avertissement : en exposant l'envenimement des relations entre les groupes de jeunes filles Hutu et Tutsi qui sont aussi des relations entre filles des villes et de la campagne, riches et pauvres, Atiq Rahimi met en lumière la facilité avec laquelle des événements, pourtant minimes quand ils sont isolés les uns des autres, peuvent mener à des drames lorsqu'ils sont accumulés. C’est sa manière de conter une tragédie mémorielle en donnant à voir de manière simplifiée ses ramifications historiques.

La rapidité avec laquelle les spectateurs sont transportés d'un contexte relativement stable et convivial, au massacre de la moitié de l'établissement tout à la fois effraie et pousse à la réflexion. Alors que le sang coule et que les cris résonnent dans les murs de l'internat, certains protagonistes s'enfuient, d'autres ignorent pendant que les derniers poursuivent et tuent, batte en main. A côté des nombreuses œuvres qui ont témoigné sur ou transfiguré les massacres au Rwanda (Brinker, 2016) Notre-Dame du Nil remplit à son tour un rôle de mémoire sur l'histoire coloniale du Rwanda, qui prend une place non-négligeable dans le récit, sous les traits des religieux et des enseignants français, du colon isolé ou de la reine des Belges, pour mieux revenir sur le dramatique génocide qui a ébranlé le pays au cours de plusieurs longues années. Entre colère, tristesse et incompréhension, les émotions sont fortes dans ce film qui cherche à remémorer une infime partie de l'horreur que le Rwanda a connu.

 

Et vous, après avoir vu le film, peut-être vous demanderez-vous comme la figure centrale du film si vous n'auriez pas mieux fait de rester ou de retourner au sein de la forêt dans la peau d'un gorille, au lieu d'en sortir et de devenir humain ?



Analyse réalisée par :

Melissa STURNY : étudiante en Master Sociétés plurielles: cultures, politique et religions, option Religion et Société (Science des Religions)
Joanne FONTANA : étudiante en Master Sociétés purielles: cultures, politique et religions, option Dynamiques sociales et culturelles (Sociologie)
Elisa ZACCARIA : étudiante en Master de Littérature anglaise et Sociétés purielles: cultures, politique et religions, option (Dés)ordres normatifs et politiques (Anthropologie sociale)